[ depuis 2005 ]
Un blog de typographie expérimentale
En 2004, Slanted était uniquement le nom d’un blog allemand tourné vers l’international, spécialisé dans la typographie expérimentale et qui attirait divers profils d’initiés. Un an après, ce nom est devenu celui d’un magazine, dirigé par Julia Kahl, qui a étudié la communication visuelle à Darmstadt, et Lars Harmsen, designer graphique à Karlsruhe. Aujourd’hui, les numéros sont publiés par Slanted Publishers à Karlsuhe, maison d’édition spécialement créée pour l’occasion. Basé sur l’actualité du blog, Slanted magazine propose une expérience thématique et expérimentale autour de la typographie. Concernant le travail éditorial, l’équipe fait également appel à des rédacteurs indépendants pour alimenter son contenu avec des interviews ou des reportages, ainsi qu’à des essayistes spécialistes. Les codes mêmes du magazine sont remis en questions et Slanted expérimente aussi la forme que prend la revue. Elle s’adresse clairement aux initiés du design et de l’édition. La ligne éditoriale a été finalisée au fil des numéros, les premiers n’avaient même pas de réelle identité visuelle.
Depuis le numéro 17, celui qui nous intéresse ici, un logo et une ligne éditoriale ont été instaurés. Deux parties sont bien distinctes : la première regroupe des pages très visuelles nommée « projects », avec des illustrations, des photos et des typographies mises en page qui se succèdent, le tout à peine titré et légendé. Systématiquement, les bas de page (notés à l’envers) permettent de nommer la typographie utilisée pour titrer. Les auteurs des projets sont crédités, leur biographie et leur travail sont mentionnés pour nous renvoyer vers des pages annexes. En deuxième partie vient le texte. Les auteurs y sont indexés, leurs démarches sont expliquées. Mais la partie autrement intéressante est celle des essais, reportages et interviews : la typographie est bien une affaire de design, elle se pense, se conçoit, et c’est ici que ces réflexions sont partagées.
Cette manière de concevoir le magazine permet de développer un propos principalement visuel en première partie. Mais les images renvoient toujours vers la fin du magazine, même s’il est vrai que ce type de lecture peut perturber. Ce fonctionnement me rappelle le blog et ses hyperliens, où le visuel prime, et où, si on le souhaite, il est possible de « lire plus… » et de suivre des liens pour étoffer l’information. De 4 numéros par an à maintenant une publication biannuelle, Slanted est toujours un magazine conséquent à la limite du livre, puisque chaque numéro fait de 288 à 320 pages et coûte une vingtaine d’euros. Elle se présente avant tout comme un catalogue de référence pour tout sujet pointu relatif au monde de la typographie.
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Le numéro 17, Cartoon Comic, est dédié à cet univers, et le magazine devient un terrain d’expérimentation à part entière. La qualité graphique de la couverture – des éclairs tramés et fluorescents – et la manipulation en elle-même de ce numéro de 164 pages respecte les codes des bandes dessinées. Dans la première partie consacrée aux projets présentés par l’équipe, une série de pages m’a interpellée. Noir sur blanc ou blanc sur noir , au lieu d’alphabets ou de pangrammes répétitifs et pauvres d’intérêt, des « BOING » « HA-HA ! » « BLAM BLAM RATATATATAT » « DANG » « BOO-HOO » retentissent dans les pages. Le magazine présente différentes fontes à la manière d’un catalogue. Parfois turbulentes ou relativement silencieuses, les évocations aux comics américains, à la BD belge, au manga ou même au cartoon moderne se confrontent. Certaines sont idéales pour la rédaction de l’histoire narrative, tandis que d’autres le sont pour des onomatopées qui deviennent même images. On distingue par ailleurs des dessins de glyphes, des illustrations, des ligatures, et des subtiles variations de lettres, idéales pour de beaux titrage. Ce dossier est un catalogue de références pour tout designer ou illustrateur qui veut évoquer le comics, sans tomber dans le cliché grâce à ces fontes de qualité proposées. On pourrait regretter que Slanted n’utilise pas de couleurs pour les mettre en page. En bande-dessinée, et qui plus est dans les cartoons et comics, la couleur a une place importante. Mais c’est souvent davantage le cas pour la couverture que pour les pages intérieures, qui, par soucis d’économie, sont plus traditionnellement imprimées en noir et blanc ; et Slanted respecte cette règle. L’équipe y a réfléchi, et a plutôt planché sur les valeurs et les contrastes, en variant déjà le fond et les compositions. Certains corps plus imposants accentuent cet effet. La quantité de texte, la grille régulière de quatre quarts, ou le faux désordre dans la page rendent la lecture dynamique.
Cliquez sur les images pour les faire défiler.
Parmi ces travaux, ceux de PintassilgoPrints, fonderie d’un couple brésilien, témoignent d’une fabrication faite main de la typographie. Les lettres ont des contours irréguliers, comme découpés ou peints, la sensibilité de la matière de chaque caractère se fait ressentir. Je découvre Manicuore qui dans ma tête, m’évoque une Italie des années 70, remise au goût du jour. Assez à l’opposé, Populaire, avec ses glyphes de bonshommes moustachus et les lettres linéales, m’évoque davantage le cartoon moderne, d’inspiration d’Europe de l’Est ou scandinave… A côté de Manicuore, Smashing m’évoque plutôt le psychédélisme latino. Dans l’index à la fin du magazine, une présentation rédigée précise les typographies.
Les alphabets qu’ils proposent sont très caractérisés, un peu vintage. Leurs typographies explorent un choc des cultures, et un choc des époques. Jeter un œil à leur compte Pinterest m’a permis de visualiser leurs références et leurs centres d’intérêt ; ces influences se retrouvent dans leurs travaux. Utiliser leurs typographies, c’est évoquer ce mélange de culture : c’est clairement un jeu.