Paris, métro six, avenue Denfert Rochereau, la pluie bat le pavé en ce dimanche après-midi. Je me souviens sortir de la bouche de métro, traverser la grande avenue Raspail, passer une boutique de fleurs pour arriver jusqu’au numéro 74. Une porte ou plutôt une ouverture en arc dans une grande façade de pierre m’indique l’entrée. Une fois à l’intérieur de la cour, la signalétique organique, ondulante et colorée pointe les différents lieux à visiter. Les évènements eux sont annoncés par des affiches en risographie placardées sur les murs de ce qui était un ancien hôpital. L’une indique « porte ouverte de nos ateliers d’artistes ». Dans la première cour, on sent l’odeur du pain bio de la boulangerie. J’imite les quelques visiteurs et habitués qui se pressent à l’entrée d’un bâtiment. Nous pénétrons dans un long couloir avec de nombreuses pièces reconverties en ateliers. Il y a de la variété, certains travaillent le cuir et d’autres le chocolat. Au-delà de ces ateliers, Les Grands Voisins abrite bon nombre d’autres spécificités.
Le Projet des Grands Voisins
Les Grands voisins est un projet de grande ampleur ayant rassemblé plus de 600 000 visiteurs, 5000 bénévoles et 46 500 demandeurs d’asile et réfugiés. Pendant 5 ans, de 2015 à 2020, le projet consistait à « ouvrir avec audace et générosité un espace temporairement vacant ». À l’origine de ce projet, l’association YesWeCamp, en partenariat avec Plateau Urbain et Aurore, sont chargés par la mairie du quatorzième arrondissement de faire vivre cet immense espace non utilisé.
L’espace alloué au projet, l’ancien hôpital de Saint-Vincent de Paul, s’étalait sur une superficie de 3,4 hectares lors de la première saison. Au fur et à mesure des travaux et des années, la superficie a évolué tout en restant un grand espace, chose peu commune pour le centre de Paris.
Lors de mes visites, seule la partie émergée de l’iceberg me fut accessible. En partie, dû aux travaux présents dans certains espaces lors des dernières saisons, mais aussi parce qu’une grande partie des bâtiments était allouée à des hébergements. On y trouvait des logements d’urgence pilotés par l’association Aurore. Souvent, les demandeurs d’asile et réfugiés se retrouvaient dans les espaces communs, aussi accessibles au public. Un des objectifs étant de créer une mixité sociale structurelle. Une autre partie des bâtiments a accueilli des espaces de travail comme des ateliers. L’équipe de YesWeCamp fut également logée sur place.
L’association : YesWeCamp
Les Grands Voisins sont devenus l’un des plus gros succès de l’association, alors encore jeune, YesWeCamp. Cette association est née en 2012, l’année où Marseille est en phase de devenir la capitale européenne de la culture. 28 architectes, artistes et urbanistes se rassemblent autour des valeurs d’hospitalité et de créativité et décident de monter un camping hétéroclite loin des normes institutionnelles dans le nord de Marseille. Pour citer quelques noms d’artistes, designers et graphistes, on y trouve Eric Pringles, designer et artiste fondateur du festival OFF, Lisa George, éditrice et communicante dont le thème de travail est la nature dans la ville ou encore Emmanuell Kormaan, designer et musicien diplômé de la HEAR. Ensemble, ils montent une proposition de projet qui remporte un grand succès. Ils décident de poursuivre l’aventure et postulent à d’autres projets à Marseille et Paris. Grâce à leur approche artistique, écologique, engagée et basée sur l’entraide, leurs projets rencontrent un succès inattendu. Nicolas Détrie utilise la métaphore de la pépinière pour expliquer l’esprit de YesWeCamp. Tels des jardiniers à qui on aurait confié une parcelle, leur objectif est de composer avec l’espace, y semer des graines et espérer qu’une alchimie se crée. En effet, leur rôle est de réunir une variété d’acteurs pour qu’une interaction et des projets transversaux naissent. Un véritable projet de vivre ensemble.
La place du graphisme
Dès l’origine de YesWecamp, la créativité et la place donnée aux artistes sont primordiales. J’avais retrouvé ses ingrédients particulièrement marquants lors de ma première visite aux Grands Voisins. Aujourd’hui, on retrouve sur le site du projet, cinq ans d’archives de graphisme sous la forme de photos.
Sur les cinq ans, parmi les multiples graphistes qui se sont succédés, Pauline Escot est l’un des noms à retenir. Arrivée dès le début du projet, elle prend le rôle de coordinatrice graphisme et signalétique pendant la première saison des Grands Voisins. En parallèle de cette activité, elle récolte des informations pour l’écriture de sa thèse. Elle y interroge le rôle du designer graphique en lien avec l’innovation urbaine, sujet qu’elle expérimente aux Grands Voisins. Elle y questionne son métier, et ses responsabilités esthétiques et sociales dans la ville contemporaine. Elle est accompagnée de manière plus ponctuelle et notamment sur le logo, de sa consœur, diplômée de Communication graphique à la HEAR, Margot Cannizzo Lazaro. En 2017, le lieu commence à être connu et elle doit coordonner jusqu’à 10 graphistes (stagiaires, service civique, et bénévoles).
La tonalité du graphisme de Pauline Escot, soutenu et validé par l’équipe de YesWeCamp, s’aligne avec les valeurs Grapus : le travail est spontané, irrégulier et manuel. Un graphisme sur le vif, cherchant à s’émanciper d’un art élitiste. Les mots d’ordre sont le Do It Yourself, la découpe, la débrouille et surtout la réactivité. Pauline Escot développe un vocabulaire graphique en papier découpé et une signalétique aux couleurs primaires, déclinée en jaune pour les espaces publics et en bleu pour les espaces privés. Les erreurs de peinture, tâches et débordements sont détournées. Le ton des panneaux de signalétique est populaire et utilise un langage très visuel peuplé de métaphores et d’expressions du langage courant. Les espaces sont retravaillés avec générosité et modelés par des couleurs et des formes pleines d’humanité. Derrière cette profusion d’énergie graphique, on veut envoyer un message universel.
Pour l’impression des affiches, flyers et autres programmes de réjouissances, la patte du Studio fidèle fait partie intégrante de l’identité visuelle. L’atelier de risographie est hébergé dans les locaux permettant une possibilité d’imprimer rapidement et en grande quantité.
Le après
Aujourd’hui, Pauline Escot a pour volonté de monter une rétrospective de ces cinq années d’apprentissage et d’expérimentation graphique. En parallèle, avec ses élèves du Dnmade Garamont, elle organise des workshops en partenariat avec d’autres sites de Yeswecamp.
Certes l’expérience des Grands Voisins est terminée, mais elle a permis de lancer de nombreux autres projets comme Vive les Groues, situé à Nanterre. Sa spécificité réside dans la place accordée au travail de la terre (permaculture, formation de maître composteur, repas, panier de légumes, etc.). Chaque nouveau lieu n’est pas une réinterprétation des Grands voisins, mais de nouveaux lieux privilégiant une thématique en accord avec son environnement. 41 projets sont à l’heure actuelle en activité ou ont été menés par Yes We Camp.
Ce projet a aussi soulevé de nombreux questionnements éthiques au sein de l’association. La non-pérennité de tels projets a été longuement évoquée. L’implication humaine dans des projets voués à disparaître mérite réflexion. De nouvelles pistes de projet s’inscrivant dans la durée ont donc été lancées.
• Site Internet des Grands Voisins
• Plateforme SOCIAL DESIGN, présentation des Grands Voisins
• Site Internet de Pauline Escot
• Interview de Nicolas Diétri
• Présentation du projet Yes You Camp