Affaires sensibles, un conte polémique

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Curiosités
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Affaires sensibles est une émission de radio diffusée du lundi au vendredi de 15 h à 16 h sur France Inter, en partenariat avec l’INA par Fabrice Drouelle, journaliste et « conteur », et ré-écoutable à tout moment sur le site.

Fabrice Drouelle, nous embarque avec sa voix envoutante au ton légèrement dramatique, dans les évènements qui ont marqué les 50 dernières années. Procès, faits divers, grandes affaires, aventures, en 55mn, on en découvre tous les secrets.

Il introduit toujours son sujet par des formules impactantes et d’une voix grave.

La narration est entrecoupée d’interludes musicales, programmées par Murielle Perez toujours choisies avec humour et finesse, et par des interviews ou archives orales récupérées de l’époque. Elle se finit par une discussion, entre lui et un invité expert en lien direct ou indirect avec l’affaire, et à deux ils analysent et débattent ces épisodes de l’histoire, avec justesse.

Les affaires sont souvent diffusées en fonction de l’actualité pour faire lien. Par exemple, lors des marches contre les violences faites aux femmes le 23 novembre, vous auriez pu écouter Histoires de femmes, victimes de violences conjugales ou bien en cette première semaine de janvier, revenir sur les attentats qui ont touché il y a 5 ans Charlie Hebdo.

Chaque émission a la forme d’un conte. Il nous raconte des histoires, et nous embarque dans cet univers, parfois morbide, mais toujours avec subtilité.

C’est ce qui rend cette émission singulière. Par exemple si nous prenons le podcast Fenêtre sur cour de Élise Costa diffusé sur Arte Radio qui traite des mêmes topiques, on peut voir que l’approche est complètement différente. En une dizaine de minutes, elle va principalement nous présenter la partie juridique des affaires. Elle parle à la première personne et adopte un point de vue omniscient qui nous éloigne du conte et de l’univers dans lequel on arrive moins à plonger.

Cependant, c’est peut-être justement ce que l’on pourrait reprocher à Fabrice Drouelle. Sa voix particulière nous guide là où il veut qu’on aille et, lui et nous, manquons parfois un peu d’objectivité sur certaines affaires.

Et si nous regardions une émission de plus près… Prenons celle du 12 novembre 2019, Harkis, quand la France abandonne ses enfants.
L’émission commence toujours par une introduction au sujet et la présentation de l’invité retranscrites toutes deux sur le site de France Inter. Il nous donne de façon très concise un aperçu de ce que nous allons écouter par la suite.

Ici il va donc nous rappeler la signification et la portée du mot Harkis, ainsi que les étapes importantes de ce qui a constitué leur histoire. Les mots employés sont choisis d’une façon à nous capter dès la première minute.

« Des montagnes de Kabylie au Massif central, des camps de transit aux HLM de banlieues, c’est ce combat, celui des harkis et de leurs enfants, que nous allons raconter aujourd’hui. »

L’invité est Fatima Besnaci-Lancou, écrivaine, et docteure en Histoire contemporaine, spécialiste de la guerre d’Algérie, co-fondatrice de l’association Harkis et droits de l’Homme, et membre du Conseil scientifique du Mémorial du camp de Rivesaltes.

Après un générique de début composé de quelques notes et du nom de l’émission, on entre directement dans le sujet par un extrait du discours de Charles de Gaulle sur les cessez-le-feu en Algérie suite aux accords d’Évian. Fabrice Drouelle marque un temps de pose et reprend la parole pour reposer le contexte, et démarrer son histoire, le tout sur un fond musical haletant mêlant tambours et guitares. Comme un film auditif, il nous conte les prémices et l’origine de cette affaire, tout en gardant chiffres et dates pour appuyer ses propos.

Le rythme de sa voix évolue au fil des évènements. Elle est lente et grave lorsqu’il parle de la situation en Algérie et s’accélère et devient interrogative lorsqu’il évoque les départs et l’inconnu de la destination.

Il file son intervention en coupant son discours par des audios et archives de l’époque. Témoignages de Harkis, interviews de journalistes, reportages, discours politiques, viennent étoffer ses propos et lui permettent de rebondir et d’avancer dans son histoire.

Ballottements, « reclassement », incertitude, frustration, racisme ; ce que vivent les harkis en France, il nous le fait sentir par le ton de sa voix légèrement amère et flottante.

Il finit sa première partie sur l’arrivée de familles Harkis dans les HLM dans les années 70 et par une formule-suspens « alors, alors, pense-t-on, l’intégration n’a jamais été aussi proche », puis le premier interlude musical se lance. (Mohamed LAMOURI / GROUPE MOSTLA : Baïda mon amour)
À la fin de cette partie, il a placé le contexte et les conditions pour nous embarquer avec lui vers la suite des évènements. Il a fait monter notre colère et notre empathie sur leur situation et nous sommes à point pour nous lancer vers les révoltes.

La deuxième partie reprend ainsi sur le début des montées des rébellions et des revendications Harkis, et des désillusions. Sa technique d’oralité reste la même pour garder son auditeur en éveil.

Il insiste sur des termes puissants et impactant comme trahisons, déracinement… Il lie toujours les évènements et les évolutions de l’histoire aux évolutions et changements politiques. On vogue entre histoire sensible et poignante, et faits et éléments plus pied-à-terre. La juste dose pour ne rentrer ni dans le pathos, ni dans le cours d’histoire.

La tension monte ; on évoque petit à petit les soulèvements des jeunesses Harkis, leurs débuts de visibilité, leurs actions et réponses à moitié efficaces des pouvoirs publics. Lois, décrets, ce n’est pas suffisant pour réparer les dommages matériels et psychologiques. C’est maintenant une « reconnaissance de leur histoire » et un « devoir de mémoire » qui est nécessaire. Et musique ! (Rachid TAHA : Je suis africain).

La dernière partie de l’émission est la rencontre avec l’invitée. Il nous fait sa présentation puis elle évoque son lien avec le sujet ; enfant de Harkis. On parle de son engagement, les chocs et les déclics comme le discours de Bouteflika en juin 2000, de sa manière de transmettre… Il la guide avec des questions pour la faire revenir sur certains passages de l’émission comme les conditions de vie, dureté des camps, l’enseignement avec son regard d’enfant. Ils finissent sur l’importance et le devoir de la mémoire et de la transmission.

Fabrice Drouelle remercie son invité et nous dit à demain. Générique de fin.