Entretien avec Dany Sanquer

autour du Kersanton

Ancien tailleur de pierre, propriétaire de la carrière du Rhunvraz et président de l’association Kersanton Penn-ar-bed qui organise tous les ans «l’été de la pierre» à l’Hôpital Camfrout, Dany Sanquer se bat pour conserver la mémoire de cette pierre d’exception exclusivement bretonne.

Le

Kersanton

Alice : Qu'est -ce que la pierre de Kersanton ?

 

Dany : «Le Kersanton est un matériau volcanique : il y a eu une montée de magma il y aurait 150 millions d'années, et c'est le fait que cette montée de magma ait refroidi très vite qui donne cette qualité de matériau. Ça donne une pierre qui est homogène.

Contrairement aux granites qui sont des pierres a feuilles, la pierre de Kersanton est égale a elle-même sur toutes les faces où tu voudras la travailler, tout en restant relativement tendre et, contrairement à ce qu’on a eu dit ou écrit, ce n’est pas une pierre qui durcit en vieillissant.

C’est une pierre qui résiste très bien à l’érosion, on voit des sculptures qui ont 500-600 ans et qui sont toujours en très bon état, comme si elles avaient été faites y’a 8 jours ! C’est pour ça qu’on s’en est servi pour la construction de phares comme le phare d’Eckmhüll, celui de l’île vierge ou le phare de la Jument.

On voit sur beaucoup de monuments que les granites, eux, résistent moins bien, le temps a de l’emprise dessus, ils se délitent.

 

On a aussi fait beaucoup de ponts et de viaducs quand le chemin de fer est arrivé.

Le patrimoine religieux breton est rempli de Kersanton : les calvaires, les enclos paroissiaux, les églises, les basiliques, beaucoup sont faits avec.

 

 

 

 

 

 

Souvent ils faisaient les gros œuvres en pierres qu’ils trouvaient sur le site où ils construisaient (surtout des granites) et ils utilisaient le Kersanton qui est une pierre plus chère pour tout ce qui demandait de la minutie.

 

Ce n’est plus utilisé aujourd’hui parce qu’on ne fait plus toutes ces choses qu’on a eu fait comme les phares, les ponts ou les viaducs. Et puis tout simplement parce qu’il y a d’autres matériaux qui sont arrivés sur le marché : jusqu’à la dernière guerre par exemple, on a fait beaucoup de monuments aux morts, de monuments funéraires, de tombes en Kersanton  et quand le granito est arrivé ça a réduit notre activité. C’est un matériau fabriqué, donc pas cher et qui pouvait être poli, ça donnait un bel effet, et pour nettoyer, hop ! En un coup de chiffon ça brille !

Si on veut comparer c’est comme l’arrivée des meubles en formica qui ont détrôné nos vieux meubles bretons. À cette époque on donnait facilement un lit-clos ou une vieille armoire pour avoir un joli buffet en formica alors que maintenant ça se fout à la poubelle.»

 «on voit des sculptures qui ont 500-600 ans et qui sont [...] comme si elles avaient été faites y’a 8 jours !»

La carrière

de Rhunvraz

Alice : Quelle est l'histoire de cette carrière ?

 

Dany : «Avant ici il y avait une petite extraction tenue par Victor Lapierre, un joli nom prédestiné. C’est lui qui a construit le château de Ker Stears qui abrite l’école Fénelon et les chapelles qui sont au cimetière Saint Martin à Brest.

 

Mais ça a commencé à prendre de l’importance quand le chemin de fer est arrivé, il y a eu une grosse demande pour la réalisation de ponts et de viaducs, la construction des phares, l’ère industrielle quoi !

 

 

 

 

 

 

Il fallait des grosses quantités de pierres contrairement à autrefois : on faisait des petits calvaires, quand on construisait des églises c’était échelonné sur des dizaines d’années, le marché n’était plus le même alors les carrières se sont développées, les points d’extraction se sont agrandis et c’est à cette époque que Derrien est arrivé, en 1883. À cette époque, ici on était sur la commune de Logonnan, ce n’est qu’en 1947, après la guerre que c’est devenu l’Hôpital Camfrout.

 

Il a donc racheté le village de Rhunvraz, a rasé ses 13 maisons parce qu’elles avaient été construites sur la veine, et a commencé l’extraction !

Les Derrien ont travaillé ici jusqu’aux années 50.»

 « Ça a commencé à prendre de l'importance quand le chemin de fer est arrivé»

L'arrivée

de Dany

Alice : Comment as-tu atterri ici ?

 

Dany : «J’ai commencé par faire un apprentissage pour être mécanicien, mais dans ce métier il faut tout le temps rester debout et ayant eu la polio étant gosse, arrivé à 17-18 ans ça me faisait souffrir alors j’ai changé de métier. J’ai appris le métier de tailleur de pierres avec mon père et là on travaillait assis, on avait plus besoin de marcher, et puis, ça me plaisait.





Mon père achetait des pierres dans différentes carrières dont celle de Derrien, et un jour Derrien est venu me voir et m’a dit : « dis donc Dany, si tu restes dans le métier ben… Ma carrière est à vendre donc ça pourrait t’intéresser. » alors je m’y suis intéressé et j’ai acheté !

J’avais 21 ans quand j’ai signé le compromis de vente. Le prêt a la banque n’avait même pas encore été accepté que Derrien m’a proposé de déménager mon chantier là-bas. On a alors emmené tous les outils, on en avait pas beaucoup : il y avait une scie, un compresseur et un vieux tractopelle.

Y’a un marbrier qui m’a dit :

«  Ah ben ta scie il faudra l’abriter ! » je lui ai répondu que je ferais un petit toit dessus et il m’a répondu :  « Ah, c’est pas la peine, j’ai un petit hangar, je dois le démonter, je te le donne. » alors on a ramené le hangar, il a même prêté le camion pour pouvoir l’emmener, sympa einh ? Ouais, c’était gentil … Ça m’avait marqué.

 

Alors ça y est, moi je suis ici depuis maintenant 45 ans, le temps passe quand même…

Ce qui est maintenant ma maison c’était mon atelier. Il y avait la forge, le bureau, le bâtiment a été construit en 1900.

 

Donc j’ai monté mon entreprise et du boulot il y en avait !

Mon premier gros chantier ça a été de refaire l’église de Plouedern. Il y avait eu un feu et les pompier eh bien… Ils ont fait leur travail. Avec leurs lances ils ont arrosé et ça a causé un choc thermique qui a fait éclater toutes les pierres.

Les colonnes, les voûtes, les cheminements de vitraux, tout ça vient d’ici, toutes ces pierres me sont passées dans les mains. Je ne les ai pas toutes taillées einh ! Mais j’en ai taillé pas mal.

 

Tout était fait à la main, il y avait des machines, mais ça ne fait pas tout. Pour les pierres de cheminement la scie m’aidait un peu mais sinon les autres, les balèzes, il y avait intérêt de savoir travailler … Il faut être précis ! Parce que bon, quand on fait un peu de sculpture l’été, c’est d’une manière assez aléatoire mais quand tu as des ouvrages comme ça, c’est au millimètre !






Si tu te trompes quand tu prends tes points sur une pierre, si tu as un mauvais équerrage, si tu n’as pas bien dégauchi ta pierre, si tu t’es trompé d’un millimètre, un mètre plus loin, qu’est-ce que ça va donner ? Tu auras deux centimètres d'écart peut être, et ta construction, elle sera de travers, et quand l’architecte va passer voir, eh bien lui aussi il va te regarder de travers ! Et tu vas devoir recommencer.

Il n’y a pas le droit à l’erreur et c’est ça la différence entre un tailleur de pierre et un sculpteur : un tailleur de pierre est obligé de travailler avec précision, sinon comment veux-tu que son clocher par exemple tienne debout ?

 

Pour apprendre aux jeunes, je dis toujours « le rond c’est bon, mais le creux c’est mieux ! »

Je m’explique : si tu veux faire une assise de pierre, s’il y a un léger arrondit, qu’est-ce que ça va faire ? Eh bien ça va basculer. Alors il vaut mieux avoir un léger creux, comme ça tu es sûr que ça tienne !

C’est des petites astuces comme ça qui font retenir. Les gens rigolent mais ils n’oublient pas !

Chacun a ses méthodes pour apprendre, moi c’est la mienne, je sors des petits trucs, qui restent dans la tête, qui donnent des images, il faut toujours imager !

On avait un curé ici, Manu, qui avait ce genre de méthodes aussi, pendant le catéchisme c’était 10 minutes sur la religion et 1h30 sur la vie !»

 « J'avais 21 ans quand j'ai signé le compromis

de vente »

 « Il y avait intérêt de savoir travailler, il faut être précis [...] des ouvrages comme ça c'est au millimètre! »

Les conditions de travail avant-guerre

Dany : «Ici ça a été une grande école de tailleurs de pierres, on formait des gars à faire des choses propres, à avoir une vraie qualité de travail. Après il y avait certains ouvriers qui bossaient à la méthode perroquet, ils ne savaient pas lire, pas écrire, pas interpréter un plan et c’était fait exprès aussi, on conservait un peu l’illettrisme dans ces machins …

Je connaissais un vieux tailleur de pierre qui travaillait bien. Un jour il me dit : « Dany tu sais moi j’ai pas beaucoup été à l’école, j’ai jamais pu faire chef d’équipe ou de chantier parce que je ne sais pas lire les plans. Avant de mourir j’aurais aimé savoir, tu voudrais pas m’apprendre ? Mais tu diras rien aux autres ? ». Alors un jour, j’ai pris des plans et je suis parti chez lui et je lui ai expliqué. Ah il comprenait vite ! Ahlala, il était content ! Il m’a dit : « maintenant je peux partir tranquille, je sais me servir d’un plan ! parce que j’ai eu demandé einh, mais personne n’a voulu m’apprendre ».

 

 

 

 

 

Ah oui, c’était comme ça, les gens voulaient garder le savoir pour eux, pour mieux exploiter les autres.

C’était pas drôle, ici tous les contremaîtres et tous les patrons de carrières avaient des cafés qui faisaient aussi épicerie et si la femme d’un employé n’allait pas faire ses courses chez son patron il pouvait prendre la porte ! Mais s'il allait dans la carrière d’à côté c’était le même contexte … Tout l’argent restait ici.

 

L’esclavagisme c’est pas vieux !

Et les gens ne savaient ni lire, ni écrire, alors quand la femme achetait un paquet de café hop ! Aussi vite on lui en marquait deux ! Les payes se faisaient ensuite chez les patrons ou chez les contremaîtres et tout était marqué, donc parfois ils rentraient à la maison sans un sou : hop ! Hop ! Hop ! Tu as pris ci, tu as pris ça, hop ! C’est retenu.

 

Ça y allait, des bistrots il y en a eu 32 à l’Hôpital Camfrout (1 142 habitants recensés en 1901).

 

 

 

 

 

 

Un gars m’expliquait que parfois, la femme qui tenait son bistrot faisait : « tiens ! Celui-là il passe mais il ne s’arrête pas aujourd’hui, c’est bizarre, on va quand même lui mettre un coup de pinard » il n’était même pas rentré qu’on lui en marquait un quand même…

 

Quand la vente de la carrière a été confirmée, chez le notaire, un des héritiers Derrien m’a raconté que son père, qui lui aussi tenait un bistrot, se faisait un malin plaisir les jours de paye de leur servir de la gnôle et des trucs qui rendent fous. Il leur aurait fait boire du pétrole que ç’aurait été pareil, après il en faisait ce qu’il voulait. Oh j’en ai entendu des histoires comme ça, beaucoup et puis toujours dans le même genre alors ce n’était pas inventé, c’était la vie réelle. C’est triste quand même…

 

À une certaine époque il y avait aussi des marins pêcheurs qui venaient travailler là. En dehors des saisons des coquilles saint Jacques, certains partaient à la pêche aux maquereaux et d’autres venaient travailler dans les carrières.

 

Après quand j’ai repris la carrière c’était plus pareil, au contraire, je pense qu’ils n’étaient pas malheureux.

Moi je n’avais pas de bistrot hahaha !»

 « Les gens voulaient garder le savoir pour eux, pour mieux exploiter les autres »

 « Ici, tous les contremaîtres avaient des cafés et si la femme d'un employé n'y allait pas faire ses courses il pouvait prendre la porte ! »

Le travail

dans les carrières

Alice : Et comment ça se passait sur le chantier à ton époque?

 

Dany : «Sur le chantier il y avait toujours une bonne ambiance, parfois un qui sifflait un autre qui chantait, qui racontait des histoires. Les machines étaient plus loin donc en tapant on pouvait blaguer !

 

Quand il pleuvait on avait un abri sous lequel travailler, autrement on aimait bien travailler dehors, c’est plus sain d’ailleurs, et puis c’est une question d’habitude.

Là où le travail est le plus dur, c’est dans la carrière, à l’extraction.

L’été il y fait trop chaud, on manque d’air, et l’hiver … Gla gla ! Parfois les mains collent sur la ferraille gelée ou sur les tuyaux pour évacuer l’eau, ça ça fait mal.

Mais bon tous les métiers ont leurs inconvénients.

Ici on avait un avantage : le chantier était très sain par rapport à d’autres carrières remplies de boue.

Dans la carrière de Logonnan, ils passaient leur hiver à travailler dans la boue alors que notre chantier était toujours bien drainé et sec.

 

 

 

 

 

C’était assez organisé ! Comme je l’ai dit, on avait beaucoup de travail, on a été jusqu’à 7.

Avant ils étaient beaucoup plus nombreux, ils ont été jusqu’à 450-500 ouvriers sur l’ensemble des carrières et il y en a 5 d’affilée le long du bras de mer.

 

Derrien lui avait une trentaine d’ouvriers mais il fournissait par exemple à un marbrier brestois, Marcel Ruse qui avait son équipe d’ouvriers qui travaillait sur place, le long du domaine public maritime. Tous les marbriers de la région venaient tailler leurs pierres ici, il y avait des gars de Lesneven qui venaient chercher leurs pierres, il y avait Apéré un marbrier de Plouedern, tout ça faisait un grand ensemble qui s’étalait sur à peu près 1km le long du rivage.

 

Quand j’ai repris, c’était la mode des cheminées. On faisait aussi de la restauration de monuments historiques, les églises, les chapelles, les calvaires,  je faisais aussi quelques monuments funéraires, de la décoration dans les jardins, des puits, des auges, des bancs tout ce qu’on me demandait, c’était assez varié tout de même !

 

Je taillais, je fendais, je traçais aussi pas mal de boulots.

Quand on te passe une commande, on te donne des plans et d’après ces plans tu fais des gabarits.

Par exemple quand tu demandais à un ouvrier de faire un entourage de porte, tu lui donnait les panneaux et les contre-panneaux qui correspondent et s’il y avait un motif à faire dessus tu lui faisais un petit dessin.

 

Dans une carrière il y avait les mineurs, les fendeurs et les préparateurs qui approchaient le travail pour les tailleurs de pierres, ils faisaient un dégrossi et le tailleur n’intervenait qu’en dernier.

Les sculpteurs aussi se faisaient souvent accompagner d’un tailleur : ils traçaient le travail au tailleur, le tailleur s’exécutait  et le sculpteur revenait pour la dernière touche.

Mon oncle a souvent accompagné Quivillic, un sculpteur du sud Finistère.

 

Pour l’extraction, on faisait des trous dans la pierre, on rayait les trous et on y mettait une charge de poudre noire.

Apres, ces grands blocs il fallait les fendre à la taille voulue. Pour ça on faisait soit des trous de potées, soit des saignées.

La saignée c’est une fente en « v » tout du long de la pierre, on y mettait ensuite des coins qui épousaient sa forme mais qui n’arrivaient pas jusqu’au bout, donc quand tu tapais dessus, il s’enfonçait mais il restait toujours une marge, ce qui permettait de forcer et hop ! La pierre se fendait.

Les trous de potées c’est le même principe, mais seulement avec des trous tous les 10 centimètres, ça allait plus vite et ça a commencé avec l’arrivée des pistolets pneumatiques sur le marché.

 

 

 

 

 

Aujourd'hui j’apprends aux gens à faire ces trous à la main, mais à la machine c’est plus rapide, le métier s’est mit à évoluer petit à petit parce qu’on s’est équipé.

J’ai acheté une machine pour scier la pierre, ça a tout changé, on mettait un gros bloc brut dessus et c’était débité en tranches. J’avais trois scies et cette machine que j’ai encore aujourd’hui, tu mettais un bloc dedans, tu appuyais sur le bouton et boum! Le bloc était fendu! Ca faisait une déflagration comme un coup de fusil.

Elle a 45 ans, et pour te donner un ordre d’idées du prix de la machine, à cette époque, mon beau-frère Jean avait acheté une Ford Escort, une voiture, qui valait 1,25 millions d’anciens Francs, eh bien la machine en coutait 3 !

Tu verrais la machine tu te dirais mince, ça vaut si cher que ça ?…

 

A cette époque il y avait de quoi faire, pas besoin de réclame, la publicité se faisait toute seule !

On faisait beaucoup de cheminées et les gens aimaient bien qu’on les pose, alors on y allait et parfois une ou deux pierres n’allaient pas, alors on les réajustait. Les voisins entendaient taper, ça les inquiétait, il venaient voir et demandaient « mais qu’est-ce que vous être en train de faire ? » et je leur répondais que j’étais en train de monter une cheminée dans la maison, « Ah bon? On peut aller voir? » j’acceptais et ils revenaient en en demandant une aussi. Ça faisait effet tache d’huile.

Il y a des quartiers à Brest où j’en ai fait tellement … Il y avait tout le temps du boulot.

 

 

 

 

 

La demande a commencé à baisser dans les années 80, les gens se sont mis à préférer les inserts aux cheminées. Maintenant on les casses pour mettre des poêles à granulés. C’est des questions de modes.

 

Aujourd’hui un tailleur de pierre a du mal à gagner sa croûte, soit il s’est fait une réputation, soit il fait de la restauration.»

 

 « Là où le travail est le plus dur c'est à l'extraction, l'été il y fait trop chaud, on manque d'air et l'hiver [...]

les mains collent sur la ferraille gelée »

 « Les sculpteurs se faisaient souvent accompagner d'un tailleur [...] le sculpteur revenait pour la dernière touche »

 « Aujourd'hui un tailleur de pierre a du mal à gagner sa croûte »

L'association

Penn-ar-bed et

l'Été de la pierre

 « S'il n'y a pas d'association pour sauver cette histoire c'est fichu »

 « J'ai été obligé d'arrêter l'artisanat [...] ça ne fait pas du bien au moral donc heureusement que j'ai l'association [...] Je suis heureux comme ça, entendre le bruit des massettes en sortant de chez moi ça me suffit »

Dany Sanquer, mars 2017

Alice : Pourquoi avoir créé cette association ?

 

Dany : «Le rôle de l’association c’est de perpétuer le savoir, pour que l’histoire des carrières et du métier de tailleur de pierre ne s’oublie pas.

 

Je vois des gens qui viennent habiter ici et qui ne savent même pas l’histoire des quais, l’histoire des chantiers, de l’extraction alors que c’était la grande industrie autrefois.

S’il n’y a pas d’association pour sauver cette mémoire c’est fichu.

 

 

 

 

 

Je reçois des écoles, de l’Hôpital Camfrout, de Landerneau, des écoles bilingues, eux, je leur avait même fait toutes les explications en breton.

J’ai reçu des tout petits aussi, je leur avait fabriqué des toutes petites massettes, à leur taille.

 

parfois on m’amène des détenus aussi. Ils viennent par groupe de 7 ou 8 et je leur apprends des trucs, à fendre, à tenir les outils et tout ça.

 

Un jour je me rappelle, il y en avait un, un Guyanais je crois, qui ne voulait pas sortir de la voiture, il disait « je ne suis pas venu ici pour casser des cailloux ». On lui a passé je ne sais qui au téléphone et il a accepté de venir. Quand je lui ai demandé ce qu’il voulait faire il m’a dit « comme les autres, je vais fendre un bloc, mais un gros einh ! »

Arrivé à une certaine heure le soir il me dit :

« Mince, j’ai fait le con ce matin, si j’avais su, je ne serais pas resté dans la voirure, j’aurais attaqué tout de suite, maintenant je ne saurais jamais ce que ça donnera ce bloc fendu … ».

Il lui manquait un quart d’heure, vingt minutes pas plus, mais ils avaient une heure de départ précise.

Eh bien tu vois, il y a un gars qui est passé après, il a passé 15 minutes dessus et le bloc était fendu. Il avait bien fait, il avait bien travaillé.

 

- Et comment est né l'Été de la pierre ?

 

Dany : «Au début des années 90 des sculpteurs sont venus me voir pour que je les aide à organiser une fête à Plougastel, je l’ai fait et ça a bien marché.

Une autre fois, le maire de l’époque m’avait proposé de faire une fête pour les 50 ans du « Notre Dame de Rumengoll », le bateau qui est au bourg. On en a un peu discuté, un gars qui possédait une entreprise de travaux publics nous a proposé de mettre son matériel à disposition, et en 5 minutes l’affaire était réglée, pas besoin de faire 15 kg de paperasse, c’était parole donnée. La fête a eu lieu et ça c’est bien déroulé.

Et v’la-t-il pas qu’un jour, je reçois une invitation pour un vernissage à la Martyre, je ne connaissais pas bien mais j’y suis allé, c’était sympa, j’ai discuté avec un monsieur et je lui ai dit : « tiens, ça serait sympa de faire une fête sur la pierre ici, vu tout ce q’il y a comme vieilles pierres » et puis je lui explique grosso modo comment je voyais les choses. « Ahhhh » qu’il me dit « et tu serais capable d’organiser tout ça ? » je lui répond que oui et que ça ne serait pas compliqué et la il me réponds : « Eh bien je suis le Maire de la commune! ». On était en juillet, on a organisé ça pour le mois d’aout, trois semaines plus tard, c’était court einh!

Ca a rencontré un chouette succès, alors on a continué pendant 5 ans.

On a ensuite déplacé le projet à l’Hôpital Camfrout, comme ça on pouvait aussi faire les visites de la carrière et c’est comme ça qu’est née la « Fête de la pierre », l’année passée, c’était la treizième édition.

Les gens continuent de venir pour s’inscrire à l’association et pour apprendre a travailler la pierre.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Moi j’ai été obligé d’arrêter l’artisanat parce que j’ai eu la polio étant gosse et j’ai eu des gros problèmes cardiaques, j’ai été plusieurs fois hospitalisé. Quand tu es malade tu n’es plus assurable, tu n’as plus le droit aux crédits, tôt ou tard j’étais voué à l’échec donc j’ai préféré arrêter avant.

Ca coute cher d’arrêter, ça ne fait pas du bien au moral donc heureusement que j’ai l’association, ça ça sauve. Je suis heureux là, et puis j’ai l’esprit occupé a quelque chose, il y a toujours des projets en cours.

 

Je suis bien comme ça. C’est pas pour gagner ma coûte que je le fait !  Au contraire, ça ne me rapporte pas un rond, ça m’en bouffe plutôt !

Mais c’est pas grave, je suis heureux comme ça. Ouais, d’entendre le bruit des massettes en sortant de chez moi ça me suffit.

Quand je vois des gens qui s’en vont en disant « à l’année prochaine » eh bien, c’est encore gagné.

Et puis on se fait des copains, des copines, on rigole, on est pas aux pièces einh, on est pas là pour avoir du rendement.

Quand tu as réussi à apprendre quelque chose à quelqu’un c’est bien, au moins ça restera dans les mémoires.»

 

Réalisé par Alice Mettais-Cartier

à la HEAR