Chaque mois, les étudiants de l’atelier de Didactique visuelle en échange dans une école étrangère, ou en stage, nous envoient quelques images et un très court texte témoignant de leurs impressions et partageant leurs découvertes.
Découvrez ci-dessous le journal de Tiphaine Branca en échange aux Beaux Arts de Yakoutsk en Russie.
Février 2019
« Le grand froid se meurt déjà tristement à Yakoutsk. Capitale de la République de Sakha à l’est de la Sibérie, je respirais pour la première fois à – 42 ° en sortant de l’aéroport fin janvier ; des températures parfois plus extrêmes encore qui, pourtant, dérangent peu le quotidien. Certes, si l’on ne porte pas au moins deux pantalons et trois couches de vêtements sous son manteau, il est difficile de rester plus de 15 min dehors. Mais la ville enneigée d’octobre à avril a son charme et encourage l’entraide entre ses habitants. La ville étant construite directement sur le pergélisol, toutes les canalisations sont disposées à l’extérieur et cela forme une architecture propre à la ville et étonnante. Le russe y est indispensable, bien que pour la plus grande partie du peuple, il s’agit d’une deuxième langue. La nature sauvage, indomptable et parfois hostile qui accueille la ville est la source principale d’inspiration des artistes locaux qui y racontent la vie ou l’histoire de leur peuple. L’école d’art dans laquelle j’étudie préserve l’enseignement de techniques traditionnelles très pointues, comme la sculpture dans l’os de mammouth — un savoir-faire stupéfiant mais difficilement accessible lorsqu’on ne reste que quelques mois. Côté peinture, il s’agit de cours académiques, car l’on estime que chaque élève doit acquérir une technique solide avant de travailler à son propre style. Le niveau y est donc impressionnant dans tous les domaines, et nous peignons par petits groupes des natures mortes et des modèles vivants, avant de partir au printemps dans la nature, lorsque le temps le permettra. »
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Mars 2019
« Assez fréquemment, l’université propose aux étudiants étrangers de se rendre dans les écoles de villages alentour et d’y rencontrer les élèves. Je suis donc partie une semaine dans 2 villages et une ville, à quelques 20 h de voiture de Yakoutsk. S’il fut d’abord déconcertant de me retrouver seule devant des classes de 30 élèves pendant plusieurs heures, je fus partout très bien reçue et ai aperçu, près des routes et dans les villages, les nombreux chevaux ou vaches qui se promènent librement dans la nature. J’étais étonnée de constater que le français est enseigné dans plusieurs écoles, parfois même en troisième langue, avant l’anglais. J’ai ainsi assisté à l’ouverture d’un « centre culturel français » dans une école de Mirny ; il s’agit d’une grande ville qui s’est construite autour d’une mine de diamants à ciel ouvert, exploitée par les Russes au 20e siècle, sur des terres originellement Evènes – un des principaux peuples autochtones de Sibérie, de tradition nomade. »
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Avril 2019
« Les costumes, danses, chants et instruments traditionnels des différents peuples de Yakoutie sont très souvent arborés à l’occasion de spectacles — pièces de théâtre, fêtes, évènements dans les écoles —. Au sein de l’Institut dans lequel j’étudie, il y a une véritable transmission culturelle à travers les différentes sections, très spécialisées — peinture, danse, théâtre, bijoux, sculpture sur os de mammouth, etc. La sculpture sur glace est également visible l’hiver, partout dans la ville, les villages ou les cours d’école, et représente souvent des personnages ou créatures issus de mythes yakoutes. Je me suis rendue au musée du pergélisol, un des aménagements les plus étonnants et extraordinaires que j’ai vus jusque-là. Creusé dans une montagne, on s’engouffre dans un long tunnel d’une température ambiante de -7 °, été comme hiver. On se perd parmi les personnages de glace issus de mythes et de récits divers (sculptés par des artistes locaux), dans un royaume que l’on découvre avec le sentiment d’être seul au cœur de la terre. La question du pergélisol est primordiale en Sibérie, et le réchauffement climatique impacte directement ces régions. La fonte du permafrost libère continuellement des animaux préhistoriques jusque-là conservés dans les glaces, comme les mammouths que l’on retrouve très fréquemment et dont on peut, partout, acheter de l’os sculpté en bijoux ou objets. »
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Mai 2019
« Le défilé du 1er mai fut un évènement très important auquel a participé chaque école, université, société, magasin local… toute la journée et dans toute la ville. Les étudiants de danse et théâtre de mon école performaient. A la fin du mois, nous avons eu nos examens de peinture — bien différents de ce dont j’avais l’habitude en France. Il s’agit d’un accrochage commun à toute la classe dans les couloirs de l’école, de toutes nos productions du semestre ainsi que d’une composition libre. Je me suis intéressée aux contrastes architecturaux de Yakoutsk, où l’on voit de vieilles maisons en bois du 19e siècle mêlées à d’impressionnants buildings et bâtiments soviétiques. L’évaluation se fait par un jury de professeurs sans la présence des élèves. J’ai également assisté à la soutenance des diplômes des 6es années de peinture et graphisme. Il est intéressant de constater à quel point la culture occupe une place centrale dans les thèmes librement choisis par les élèves ; scènes de vie yakoutes, fêtes locales, illustrations de mythes, etc. L’été est là, et j’attends avec impatience la fête la plus importante de l’année, à la fin du mois de juin, où nous célébrerons le retour du soleil. »
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