La Gaîté Lyrique

« – Bonjour mesdames, bienvenue, je vais vous demander de vous déchausser pour l’exposition. Si vous êtes réticents, nous avons des surchaussures ! »
Rapide coup d’œil aux alentours, grand sourire sur le visage de mes voisines :
« – Ah non merci, en chaussettes c’est très bien ! »

Franchement, une exposition en chaussette, ça ne se refuse pas ! C’est vrai, on a l’habitude des lieux où l’on regarde l’Art de loin, dans d’immenses pièces blanches et propres. Rapidement, les chaussures sont au fond des sacs, et nous faisons nos premiers pas sur la moquette grise. C’est une ambiance étrange, l’excitation monte, la lumière disparaît, les bruits s’atténuent à mesure que l’on avance.

La première installation donne le ton, d’ailleurs, on commence et termine l’exposition avec elle. Il fait noir, mais les projections blanches suffisent à éclairer la pièce. Un immense voile de métal sculpté apparaît au-dessus de nos têtes, comme un nuage. Au sol et sur les murs, les vidéoprojecteurs éparpillent des paillettes lumineuses. On entre doucement dans un univers féérique, qui manipule complètement notre conception de l’espace. Et là, surprise, sous nos pieds (nus !), les paillettes s’animent, comme si notre passage les chamboulait.

On oublie bien vite le cartel qui annonçait « ordinateurs, microcontrôleurs, arduino, vidéoprojecteurs, caméra infrarouge ». Nos corps interagissent, prennent part à l’œuvre, qui, sans nous, serait bien triste. Ça y est, nous et les autres, on se prend au jeu. Après avoir timidement bougé un bras, on se met à courir, à tourner, à sauter, pour voir les paillettes se déchaîner. Cette expérience est singulière : plus on avance dans l’exposition, plus on remarque que les gens sont décomplexés, dansent et s’amusent librement de leur corps.

Cette immersion n’est pas uniquement visuelle et corporelle. Une partition sonore nous accompagne, spécialement conçue pour l’exposition par Olivier Mellano. Nous sommes au centre d’une série d’événements entre arts visuels, chorégraphies et musique.

Nous avons passé une heure dans un véritable spectacle vivant. L’ambiance sombre et intimiste nous emmène sur la scène du théâtre, sous les projecteurs. Chamboulant nos repères spatiaux, Faire corps est une exposition qui se déploie en formes et médiums variés. Le lien entre tous ces dispositifs, c’est le regardeur qui devient acteur de l’exposition. Nous avons oublié la position passive de celui ou celle qui se rend au musée. Il est loin, le : « touche avec tes yeux chéri ! ».

Les œuvres d’Adrien M et Claire B ont une réelle volonté de nous faire prendre activement part aux défis devant nous. Le monde médiatique contemporain est complexe. Dans cette expérience absorbante, nous faisons corps avec cet espace social numérique et interconnecté. Nous sommes les mailles de cette immense toile de connexions, qui forme une unité, et la modelons à notre guise. Comme je le disais plus haut, dans Faire corps, on oublie cette technologie omniprésente. Au contraire, elles deviennent des extensions de nos sens. Devant nos yeux, sous nos pieds, se rencontrent informatique, sculptures légères, trompe-l’œil lumineux, jeux d’espaces et d’échelles, déformations corporelles.

Les artistes

Installée à Lyon et à Crest dans la Drôme, la compagnie Adrien M et Claire B est constituée d’une trentaine de collaborateurs. Fondée en 2011 par Claire Bardainne et Adrien Mondot, elle crée des formes au croisement des arts visuels et du spectacle vivant qui interrogent le mouvement. Ce thème est traité grâce au graphisme, au développement d’outils numériques sur mesure et à la programmation. Leur langage poétique associe l’imaginaire, le réel et le virtuel. Le corps est toujours placé au cœur des images.

La Gaîté Lyrique

« Un lieu média, un lieu vivant où l’on prospecte, crée, diffuse, expérimente et partage, un lieu ouvert à tous les publics […] et un lieu de fête ! »
Site internet de la Gaîté Lyrique

Cet ancien théâtre accueille 250 000 visiteurs par an, pour des concerts, expositions, performances, ateliers, rencontres et festivals. L’établissement culturel parisien se donne comme objectif d’accompagner les citoyens.nes dans la compréhension des cultures post-Internet.

En effet, nous vivons une époque hyper-connectée, et ainsi cette culture numérique a fait naître de nouvelles créations au croisement des arts, des technologies et questionnant les enjeux de notre société. La Gaîté privilégie l’immersion, l’expérimentation, la narration, l’expérience collective, le divertissement et l’engagement, et s’est donné pour missions d’accueillir les artistes qui font la richesse de notre époque.

Son regard est d’abord curieux, car la programmation est multidisciplinaire, mais aussi courageux car elle n’a pas peur de la nouveauté et de la technologie qui fait partie de notre vie quotidienne. De plus, elle développe une démarche volontaire de partenariats avec les structures de proximité : établissements scolaires, université, associations, centres de loisirs, hôpitaux, foyers…

« Nous cherchons […] à proposer un lieu de fête qui inspire autant qu’il donne les moyens à tou·te·s de vivre et de désirer demain. »
Site internet de la Gaîté Lyrique

On pourra rapprocher Faire Corps à l’exposition Au-delà des limites à la Villette. Des projections interactives nous embarquent dans un univers immersif poétique et ludique. Ici le collectif TeamLab questionne l’impact de l’homme sur l’environnement, grâce à des paysages organiques et féériques. Émerveillés devant la beauté de cette nature lumineuse qui vibre sous nos pas, l’expérience à du sens. On peut cependant questionner la légitimité de certains dispositifs, qui jouent sur le côté grandiose de la projection. L’atelier des Lumières à Paris, organise des projections monumentales dans lesquelles on déambule. Le visiteur, certes immergé, reste passif face à des projections d’œuvres d’art qui n’ont pas été pensées pour être animées. Il me semble dommage de simplement miser sur l’effet spectaculaire et tendance du numérique.

• Lien vidéo vers un aperçu de l’exposition
• Lien vers le site de la Gaîté Lyrique
• Photos liées à l’article : photos personnelles et Vinciane Lebrun Voyez-vous
• Crédit des photos issues du site de la Gaîté Lyrique : Voyez-vous (Vinciane Lebrun)