Dans le livre Le Vertige du funambule d’Annick Lantenois (2010), nous trouvons une piste de réflexion autour de la disparition des blasons au profit de l’explosion des logos de villes, villages ou territoires au cours des années 80. On remarque que le blason, marqueur d’identité, se voit remplacé par une myriade de logos aux formes simpl(ist)es et aux couleurs vives. Le territoire perd sa représentation symbolique et les caractéristiques qui lui y sont liées.
Dans cet article, nous étudierons le cas du logo de la ville de Rennes, en essayant d’expliquer sa singularité par des facteurs politico-culturels intrinsèquement liés à la région de la ville.
– Il est important de noter que l’attention que portent les villes à leur communication varie en fonction de leur importance, en raison du budget et de la communication qui leur est liés. Les ressorts visuels ne sont pas les mêmes en fonction de la taille de la commune. Si les petites communes ont des logos proches de ceux créés par un générateur, les métropoles ont la particularité d’essayer de promouvoir et de mettre en évidence leur singularité. —
Le logiciel générateur de logos du collectif Formes Vives en montre l’arbitraire. Des formes (abstraites comme figuratives) sont assemblées pour créer le logo de votre commune fictive.
De nombreux autres générateurs ont vu le jour devant l’ampleur de cette standardisation.
« Le logotype que la municipalité a choisi se veut le reflet du dynamisme de la ville et l’intégration réussie de l’urbanisme dans l’environnement. À travers ce nouveau logo, nous avons la volonté de donner à la ville une image plus dynamique. Un graphisme sobre lui confère une signification évidente. Ce logo incarne le lien entre passé et présent. » Paris
« Le logotype que la municipalité a choisi se veut le reflet du pôle d’attraction qu’est la ville au plan culturel et économique. À travers ce nouveau logo, nous avons la volonté de fédérer autour des choix porteurs d’avenir. Un graphisme sans surcharge graphique pour ne pas nuire à la lisibilité, lui confère une signification évidente. Ce logo incarne la situation géographique privilégiée de la commune. » Beton-Bazoches
« Le logotype que la municipalité a choisi se veut le reflet de la diversité de notre patrimoine et incarne l’ambition et le dynamisme. À travers ce nouveau logo, nous avons la volonté de valoriser l’identité et d’améliorer l’image de marque de notre ville. Un graphisme spontané et dynamique lui confère une signification évidente. Ce logo incarne la volonté de la ville de construire son avenir sur des bases solides. » Audierne
Des idées se démarquent presque systématiquement: le dynamisme et le fait de se tourner vers l’avenir. Toujours dans cette idée de croissance exponentielle.
L’atelier Baudelaire, composé de Camille Baudelaire et Olivia Grandperrin, a travaillé en 2022 autour de la refonte du logo de la ville de Rennes et plus globalement de sa charte graphique associée, créant un visuel se démarquant du paysage habituel des logos de ville.
Pouvons-nous nous intéresser à des facteurs socioculturels pour expliquer cette singularité ?
Après avoir été longtemps perçue comme une terre conservatrice, la Bretagne connaît globalement un revirement vers la gauche après les élections présidentielles de 2002.
Cependant, malgré ce penchant à droite, des centaines de villes connaissent une explosion du vote communiste tout au long du XXe et plus récemment (entre 15 et 20 % au premier tour des législatives de 2002 contre moins de 5 % pour la moyenne nationale).
Il faut préciser que, longtemps indépendante, la Bretagne fonde son régime foncier sur un esprit plus égalitariste (la Quévaise), se démarquant des autres régions par la résistance de la langue bretonne et des luttes sociales ayant significativement marqué les habitants (les Bonnets Rouges, les maquis communistes, Plogoff…). Ce dit esprit égalitariste a fort possiblement marqué un clivage très fort en Bretagne, entre conservatisme lié aux valeurs morales chrétiennes et communisme et socialisme, le dernier ayant aussi atteint la Bretagne via son urbanisation.
Outre le fait qu’il faille soigner l’identité de la première ville en France où il fait bon de vivre, cette singularité n’a-t-elle pas pu jouer dans le choix d’une charte graphique forte et travaillée ?
En utilisant comme inspiration l’écriture onciale, l’atelier Baudelaire marque l’implantation de la ville dans l’Histoire, et plus largement de la Bretagne.
Comme pour les autres villes, elle marque son attractivité, par son rayonnement et son aspect ville carrefour, en somme, le logo se veut celui d’une ville dynamique.
L’Atelier Baudelaire, composée de graphistes, mais aussi de typographes, ont adopté une technique artisanale et personnelle, ou le tracé de la lettre et le geste priment.
Contrairement à d’autres logos, celui de Rennes, en noir, constitue un choix pour lequel peu de graphistes optent. Ici, la couleur a son importance, reprenant les couleurs du drapeau breton et s’éloignant de la construction arbitraire des logos.
Dans son livre, Annick Lantenois soumet l’idée que l’adoption du logo vient rompre avec la tradition héraldique et les traditions symboliques et historiques qui lui sont associées.
Le logo de Rennes s’inscrit dans l’Histoire, traduisant un enracinement dans la durée, tout en montrant sa volonté de se tourner vers l’avenir. La crise du temps évoquée par l’auteure ne semble pas marquée la nouvelle charte graphique de la ville, faisant le pont entre passé et futur et revalorisant le rôle du graphiste, qui se veut acteur.ice de nouveaux paysages visuels.
En revalorisant un espace par l’élaboration d’objets graphiques, il est permis de se demander si l’on valorise aussi les individus qui y vivent. Rennes, un cas de graphisme d’utilité publique ?