Reply all est un podcast américain plus ou moins hebdomadaire diffusé depuis 2014 sur le site de Gimlet, son producteur. L’émission compte à ce jour plus de 160 épisodes de 20 à 120 minutes.
Amateur de podcast, amateur d’internet et amateur d’histoires étonnantes, il n’a pas fallu attendre longtemps pour que je tombe sur Reply All. Il s’agit d’un podcast animé par deux journalistes au ton chaleureux dont les enquêtes prennent la forme de récits surprenants traitant de la vie à l’ère d’internet.
Reply All a su séduire un public anglophone du monde entier, de professionnels du milieu aux simples curieux, ces auditeurs très variés en âge, en genre et en nationalité ont tous en commun une curiosité envers internet et les nouvelles technologies. Le « show » est également reconnu par la presse étant donné qu’il a été nominé pour plusieurs prix et apparaît dans des classements de podcasts comme celui du New York Times.
Un de leurs formats a particulièrement retenu mon attention : celui des enquêtes de fond, menées sur la longueur, parfois avec l’intervention de journalistes extérieurs.
Celles-ci ont comme particularité la direction surprenante et parfois extravagante qu’elles peuvent prendre en partant de questions technologiques d’apparence anodines. Une maison de laquelle sont émis les signaux des téléphones perdus du quartier (#53 In the desert), une hotline de téléphone rose qui apparaît quand on compose des numéros de support concernant le covid-19 (#167 American’s hottest talkline), un auditeur cherchant une chanson qu’il a entendu il y a 20 ans et dont il est le seul à se souvenir (#158 The case of the missing hit)…
Les prémices de ces histoires aux titres mystérieux ressemblent souvent à celles de légendes urbaines et c’est peut-être là une des plus grandes forces de l’émission : il y a une démystification de la technologie, mais aussi une forme de remystification, l’émergence d’un sentiment d’étrange face à la complexité des réseaux qui forment ces récits. En effet on y croise pêle-mêle logiciels hors de contrôle, agence d’hameçonnage, sociétés opportunistes et forums malfamés. Un folklore de l’ombre se dessine, à la fois fascinant et mystérieux.
Sans tomber dans le conte d’horreur et en faisant preuve d’une grande rigueur — les journalistes reviennent parfois sur une enquête des années après celle-ci pour y apporter un complément ou une contradiction — Reply All laisse parfois entrevoir une vision d’un monde « autre ». C’est en effet cette Amérique étrange de l’ère « post-vérité » qui transparaît de plus en plus dans les épisodes récents tel que l’inquiétant Country of Liars (#166) parlant du mouvement complotiste autour de la théorie du Q-anon.
Pour comprendre un peu mieux pourquoi je parle de contes et d’histoires à propos d’un podcast aux thématiques pourtant si résolument modernes, analysons un épisode :
Épisode (#53, In the desert)
Émission américaine oblige, le show commence par un court mot de leur sponsor.
Puis le générique au sonorité électro se lance.
La voix enjouée de PJ Vogt nous accueille. Ce dernier nous annonce que ce sera un épisode de Super Tech Support, le segment de l’émission où ils essayent de résoudre des problèmes mystérieux liés à la technologie, ces derniers semblant parfois impossibles. On entend alors le jingle de Super Tech Support, une petite note électro plus courte que le générique d’introduction.
Après le jingle, on retrouve PJ accompagné d’Alex Goldman, l’autre animateur de l’émission et de Kashmir Hill, la journaliste qui les a introduits au mystère du jour. Alex et Kashmir présentent le mystère : un couple, la vingtaine, emménage dans une maison à Atlanta en Géorgie. À peine installés, une famille toc à leur porte : ils cherchent un téléphone disparu qui a été localisé à cette adresse. Le couple trouve ça étrange, mais l’histoire se répète et des personnes viennent encore et encore chercher leur téléphone disparu. Kashmir les a interviewés en espérant que ses lecteurs trouvent une solution, mais aucune de celles proposées jusqu’à présent n’a été concluante.
Une transition sonore « …welcome aboard Southwest 2881 with service to Atlanta. » et PJ débarque à Atlante.
C’est là que commence vraiment l’histoire : on fait la rencontre la Christina et Mike, les propriétaires de la fameuse maison. Ils présentent leurs inquiétudes par rapport à la situation ; des dizaines de personnes se sont présentées à leur porte l’année passée, parfois tard la nuit. Ils réclamaient tous un téléphone, un ordinateur ou une tablette perdue, voire un ami ou un proche disparu que son entourage a tenté de localiser en traquant son téléphone. Le couple explique leur angoisse face à cette situation : en Géorgie, tout le monde a une arme et il y a plus de morts par balle que par accident de la route.
Ils font également un tour du voisinage en quête d’une éventuelle solution. Le quartier a quelque chose d’étrange, la plupart des habitations sont de petites maisons résidentielles, mais, tous les 2-3 bâtiments, se trouve une maison en ruine, abandonnée ou à moitié détruite. Il ne reste plus que des personnes âgées dont les enfants sont allés habiter ailleurs. Le temps d’un passage dans une de ces maisons, l’émission prend un ton plus pesant, plus mystérieux. Sans trop savoir pourquoi, on se demande si cette faible densité de population est liée à cet étrange phénomène de localisation trompeuse.
Pause publicitaire.
PJ, Mike et Christina sont rejoints par David, un expert en cybersécurité qui a vu l’article de Kashmir et pense pouvoir résoudre son problème. Ce dernier présente son matériel : analyseur de spectre, capteurs d’onde radio, tout un arsenal pour mesurer l’électromagnétique.
David fait plusieurs relevés, analyse spectrométrique, relevé des réseaux alentour, tests à partir de différents téléphones et présente en même temps au journaliste et au public les bases de l’analyse réseau. Diverses hypothèses sont étudiées, comme un signal sur une fréquence inexploitée, qui pourrait être une antenne-espionne du FBI, mais qui se révèle être un faux positif après plus amples analyses.
Finalement une des explications est retenue, combinant une trop faible densité de réseaux sans fil dans le voisinage avec une erreur d’attribution d’une adresse IP de la part d’un des opérateurs. Le couple est satisfait de cette explication qui va leur permettre de lancer une procédure afin d’essayer de faire corriger cette erreur.
Retour au plateau, PJ et Alex débriefent l’histoire et font part à la fois de leur frustration et de leur fascination par rapport à ces évènements. Ils s’interrogent notamment sur l’étrangeté de cette situation où l’entremêlement de technologie et de différentes entreprises est si complexe que quasiment personne n’arrive à en trouver la cause. Dans un même temps, ils sont émerveillés par l’intervention de David qui, face à ce problème invisible et impalpable, rappelle la figure d’un magicien ou d’un exorciste.
Générique de fin et crédits.
J’ai choisi cet épisode, car il illustre selon moi assez bien la dualité entre démystification et création de nouveaux contes qui rend Reply All si particulier. Avec cette histoire on se trouve face à une légende bien connue, celle de la maison hantée : de nouveaux habitants arrivent dans une maison et y découvrent un mal étrange et impalpable qui leur pourrit la vie avec de mauvais tours.
Nos deux enquêteurs vont chercher à comprendre cette situation, mais, face à la complexité des éléments qui sont en jeu, ils sont obligés, comme la majorité de leur audience, d’accepter leur incompréhension.